jeudi 19 décembre 2013


Halte à un journalisme mercantiliste et de mercenariat, oui à un journalisme responsable :

Je dois lever toute équivoque qui pourrait faire penser à un manque d’humilité de ma part, ou à une quelconque volonté de faire la leçon aux nombreux spécialistes de la presse au Sénégal. Je suis juste d’abord et avant tout un simple citoyen sénégalais, soucieux de la situation de nos quotidiens d’information, et qui rêve d’une presse différente.

Lorsque je suis entré dans le journalisme, je m’étais dit que j’entrais dans un corps professionnel où il y a beaucoup de passion, de possibilité d’expression de manière professionnelle et responsable. Je m’étais aussi dit que j’allais avoir encore l’occasion d’être plus utile à ma société. Je me disais que j’allais exercer une profession qui se veut responsable, qui est gouvernée par des règles d’éthique et de déontologie qui sont les garants d’une presse crédible et citoyenne. Car j’étais convaincu que les journalistes sénégalais, à l’image de tous les journalistes responsables à travers le monde, étaient compétents, et qu’ils faisaient des choses extraordinaires et très louables par nos concitoyens.

Puis vint cette période sombre où les organes de presse de manière générale et les quotidiens d’information de manière particulière ont subitement poussé comme des champignons. Il fallait dès lors avoir des « journalistes » qui alimentent les pages du journal au quotidien.

Dès lors, notre presse est envahie. Elle est devenue vulnérable tel un corps humain dont les organes de défense ont tous été anéantis et phagocytés par les toxines microbiennes. Une presse ouverte à toute sorte d’excès et de dérapages.

Quand je suis devenu journaliste en me faisant former dans une école internationale reconnue et jugée bonne (le Cesti en l’occurrence), j’étais encore convaincu qu’une presse crédible et responsable était toujours possible. Car de là-bas on m’a inculqué des valeurs journalistiques auxquelles je tiens. C'est la même chose avec d'autres écoles privées de journalisme où on forme des journalistes de qualité.
Cependant l’image que dégage notre presse nationale aujourd’hui est plus qu’inquiétante. Des proportions dangereuses qui méritent réflexion. Les spécialistes ne doivent pas se taire. Ils doivent agir, et vite.

A l’image du grand empire médiatique créé dans les années 1980 par le magnat Rupert Murdoch (The Sun, The Times, Sunday Times, News of the World etc.), notre presse est aujourd’hui gérée et financée par des « hommes riches » qui ne savent pas grand-chose du journalisme et de la communication, mais dont l’objectif ultime est de se faire beaucoup de profit. (Pour rappel, l'empire Murdoch a disparu en 2011!)

Notre presse nationale vit encore donc des moments sombres. Réagissons et ressaisissons-nous vite. La recherche prioritaire du profit par tous les moyens (même ceux moralement blâmables et répréhensibles), caractérise l’univers actuel de nos médias, et fait de nos journaux des plateformes où le mercantilisme dicte sa loi. Il faut « vendre son journal », il faut avoir le plus grand nombre de tirages, quitte à heurter les consciences collectives, au nom d'une seule et unique explication: "informer juste et vrai", quoi?

Ainsi, étant un fidèle lecteur de nos quotidiens, j’ai été séduit par certains d’entre eux, notamment le quotidien Le Quotidien. Je me rappelle toujours les Unes chocs telles que « Stupéfiant !» lors de l’affaire de la drogue dans la police, « Ceintures de perles autour de Béthio » lorsque le guide religieux a été arrêté, ou encore même « A Dieu Madiba » récemment.

La solidarité professionnelle voudrait qu’on applaudisse quand ça marche, mais que l’on dénonce quand ça ne marche pas. Ils sont nombreux les confrères journalistes du Quotidien à qui j’ai personnellement adressé mes félicitations, pour le travail énorme qu’ils abattent chaque jour.

Mais lorsque j’ai vu la Une du samedi 14 Décembre 2013 (Décès du sapeur-pompier Chérif Ndao : les preuves du crime), je ne peux vous décrire mes sentiments de désolation et d’indignation.

J’ai été scandalisé par ce que j'ai vu. C'était horrible. Comment a-t-on pu publier cela? Dans quel pays sommes-nous encore? Pourquoi les personnes dont les voix sont autorisées ne sont-elles pas montées au créneau pour exiger des explications de la part du journal?

Je me suis demandé comment on peut mettre un cadavre nu comme ça dans un journal soi-disant pour prouver un crime et pas une mort naturelle ... ? Et le droit à l’image ? Et les règles d’éthique et de déontologie dans tout ça ? Et la famille de la victime? Comment vont-ils vivre un tel choc psychologique et plus d’avoir perdu un être cher dans des circonstances troublantes ? Est-ce que la famille ne va pas porter plainte ? Et les droits de « l'hommistes » dans tout ça? Et le respect de la mémoire du disparu? Et le respect de la dignité humaine?

J’ai refusé d’y croire. Car vous ne verrez jamais les médias occidentaux exposer les corps de leurs citoyens comme ça à la Une des journaux. Car pour moi, Mr Madiambal Diagne, un homme respectable qu’on ne présente plus dans nos cieux, n'a pas le droit de faire cela. C'est tout simplement scandaleux. Et je suis pour une pétition pour exiger des explications et des excuses publiques à l'encontre du quotidien Le Quotidien. C’est incroyable ce que j'ai vu, je ne saurais vous décrire ma réaction quand j'ai vu l'image si choquante...

Le journal n’en est pas à sa première expérience. On se souvient des photos de Malick Ba tué dans des échauffourées entre les populations de Sangalkam et les gendarmes de la localité. Certains avaient été indignés par la publication de telles images.

Aujourd’hui cette parution soulève encore d’autres questions à mon avis. On se le rappelle, les autorités de ce corps militaire des sapeurs pompiers avaient parlé d’une mort naturelle, et la famille de la victime n’avait cessé d’exiger que la lumière soit faite sur cette affaire. Et là le journal Le Quotidien s’est procuré des clichés de la victime pendant l’autopsie, comment ? Et le médecin légiste dans tout ça ?
Comment le journal s’est-il procuré ces photos ? Quelles seront désormais les conclusions après ces photos prises et rendues publiques par le journal ?

Avec les technologies de l’information et de la communication, la spécificité du rôle et de la posture du vrai journaliste sont en train de disparaitre. La fonction de journaliste se meurt à petit feu au Sénégal. Car l’information est produite partout aujourd’hui. Les journalistes sénégalais sont critiqués et "injuriés" de partout, et accusés de mentir et d'inventer, à causes de "bidonages et de bâtonages" tous azimuts. Et nos quotidiens ne sont plus loin du concept de « trash Tv » ou « télé-poubelle » théorisé par Ignacio Ramonet dans La Tyrannie de la Communication. Autant dire « trash newspapers ». Vivement la prise de conscience et la réaction, même si elle sera tardive.
P.S : Pour voir les images en questions, allez à
http://www.lequotidien.sn/